En Europe, la révolution énergétique est en marche. Les énergies renouvelables se développent, les systèmes énergétiques se digitalisent, les micro-producteurs s’organisent et les mouvements de désintermédiation sont en marche. Cela semble beaucoup ; je suis pourtant convaincu que nous ne sommes qu’au début de la transformation du secteur énergétique. Peut-on dès lors considérer que tous les acteurs sont et vont être impactés de la même manière par cette transformation ? Y sont-ils confrontés aujourd’hui de manière identique ?
Les grands producteurs d’électricité européens font probablement partie des acteurs les plus impactés : leurs capacités de production ne sont pas toutes amorties alors que déjà, certains coûts de production ne sont plus compétitifs. Il est souvent moins coûteux d’acheter l’électricité sur les marchés que de la produire : par exemple, les grands producteurs suisses, propriétaires de capacités de production hydraulique pourtant vertueuses, font les frais de cette situation depuis quelques années.
Leurs actifs de production font face à différentes difficultés : certains, comme les centrales thermiques au charbon et au fioul, sont trop émetteurs de CO2 au regard d’une législation de plus en plus contraignante. D’autres, comme les centrales nucléaires, font face à des couts de maintenance et de remise aux normes importants pour répondre à des exigences de sécurité toujours plus grandes. Un nombre de plus en plus important ont des coûts de production désormais supérieurs à ceux de certaines énergies renouvelables.
Pour ces producteurs, la transition énergétique nécessite une recherche courageuse d’un compromis entre le renouvellement des actifs et l’exploitation juteuse d’actifs en fin de vie. En Europe, ces producteurs se classent désormais schématiquement en trois catégories : ceux qui privilégient l’exploitation de leurs actifs, quitte à se rapprocher du gouffre à grands pas, ceux qui ont résolument décidé d’opérer assez rapidement une substitution de leurs anciens actifs par de nouvelles capacités, et enfin ceux qui développent leur capacité de production renouvelable dans une entité séparée de celle qui gère les actifs « vulnérables ».
En Europe, certains énergéticiens historiques combiné des activités de production avec des activités de distribution et de ventes de l’énergie. Chacun de leur métier doit s’adapter face à cette transition énergétique : il est probablement difficile pour eux de tout mener de front. Ces grands acteurs ont probablement beaucoup à perdre et doivent s’organiser avec volonté et courage pour se transformer profondément et innover pour garder leur leadership.
Leur taille importante les rend potentiellement moins agiles et en fait la cible privilégiée des énergéticiens alternatifs, nouveaux entrants sur le marché.
Ces énergéticiens alternatifs ont, quant à eux, peu à perdre et beaucoup à gagner. Ils peuvent innover sans mettre en péril une quelconque activité historique.
Les énergéticiens de taille moyenne sont tout autant exposé que les gros ; par contre, ils sont plus agiles et, se sentant probablement plus menacés car plus fragiles, ils se sont lancés dans des programmes de refondation importants. Ils auront du, pour cela, sortir du sillage des grands énergéticiens dans lequel ils s’étaient placés depuis longtemps. Cette émancipation leur demande de développer de nouvelles compétences et une audace managériale toute nouvelle.
Les énergéticiens les plus petits, actifs en zones rurales et dans les petites villes, ont eu une exposition plus tardive à la transition énergétique ; leur manque de structure et de moyens ne leur a pas toujours permis de prendre conscience des changements en cours et de leur réel degré d’exposition. Ce manque de moyens, associé au manque de conscience, accroit leur vulnérabilité. Certains cependant ont eu la lucidité de se rapprocher d’organisations plus importantes et de s’accrocher à elles comme à une locomotive.
Ces acteurs du monde concurrentiel partagent un point commun : exposés aux effets dévastateurs de la transition énergétique, ils sont devenus vulnérables et contraints de s’adapter rapidement pour ne pas faire face aux pires difficultés. J’ai pu constater au cours des 12 derniers mois à quel point cette Europe de l’énergie s’était mise en mouvement.
D’autres acteurs sont encore confrontés aux effets de la transition énergétique ; je veux parler des TSOs (gestionnaires de réseau de transport) et des DNOs (gestionnaires de réseau de distribution). Eux font partie du monde régulé ; leur vulnérabilité est a priori extrêmement réduite. Néanmoins, plus ils sont spécialisés sur une énergie, plus ils sont vulnérables à une substitution de cette énergie par une autre.
Du point de vue des territoires, pays, régions ou villes, ces acteurs ont un rôle essentiel à jouer car, de leur transformation et de leur progression, dépendent la performance énergétique du territoire qu’ils couvrent et le développement des producteurs et vendeurs d’énergie qui opèrent sur ce territoire.
L’enjeu des DNOs (gestionnaires de réseaux de distribution) est de devenir des DSOs (gestionnaires de systèmes énergétiques). Bien sûr, la signification du S est essentielle car elle définit le périmètre sur lequel le système énergétique sera optimisé ; cette définition est souvent du rôle du régulateur. Sur la base de cette définition, l’objectif du DSO est d’offrir le niveau d’optimisation optimal et le plus grand éventail de possibilités de développement aux acteurs du système.
Le grand paradoxe de cette situation est que les acteurs les plus vulnérables dépendent en partie pour leur survie des moins vulnérables.
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