Les processus d’analyse stratégique se sont développées depuis quelques décennies sur des fondamentaux simples :
- Bien comprendre son environnement
- Bien évaluer ses forces et faiblesses
- Bien chiffrer les enjeux
- Choisir le bon positionnement
Mais ces piliers sont-ils suffisants ? Les démarches classiques d’analyse stratégique sont-elles encore adaptées au monde de l’énergie ?
Deux évolutions des systèmes énergétiques me semblent importantes à considérer pour répondre à ces questions.
Tout d’abord, les systèmes et offres énergétiques ne sont plus définies dans une sorte de logique « top-down » par des énergéticiens monopolistiques sur leur territoire. Ils émanent plutôt de la convergence, plus ou moins organisées, de deux grands types d’initiatives : d’une part, des initiatives « top-down » encore poussées par des acteurs nationaux et par des politiques d’état, influant notamment sur le mix énergétique et les productions centralisées ; d’autre part, des initiatives « bottom-up » initiées par une foule d’acteurs et de collectivités territoriales. Il est désormais moins certain, pour un énergéticien, de disposer de tous les leviers pour déployer un scénario stratégique choisi.
Ensuite, les nombreuses évolutions, voire disruptions de toutes sortes, affectant le marché de l’énergie introduisent un niveau d’incertitude sans précédent sur ce que sera l’environnement et les conditions de marché, sur les positions qu’il sera possible et pertinent d’adopter.
En conséquence, il est désormais dangereux d’approfondir et de définir UNE stratégie et UN scénario privilégié, reposant sur les évolutions les plus probables ou sur une vision à 20 ans. Je demande toujours à mes clients dans ce cas : « et que se passe-t-il si l’environnement évolue différemment ? ». Souvent, ils me répondent : « alors, ce sera très difficile pour nous », très rarement : « nous y avons pensé, le scénario choisi résiste bien dans tous les cas » ou encore « nous devrons faire évoluer notre stratégie mais les décisions que nous avons prises n’auront pas de raison d’être remises en cause ».
La stratégie n’est pas un jeu de roulette russe. L’enjeu est bien de définir plusieurs scenarii correspondant à des grandes options d’évolution que l’énergéticien saura dégager de son analyse et de sa connaissance de l’environnement. Chaque scénario est étudié de manière interdépendante pour faire ressortir, en particulier, les décisions qu’il est nécessaire de prendre à court terme et pour choisir les options les plus robustes dans l’ensemble des scenarii.
Les systèmes et offres énergétiques nécessitent des investissements rentabilisés sur des périodes très différentes, de quelques mois/années à quelques décennies. Le processus stratégique de tout énergéticien doit éclairer les dossiers d’investissement à long terme, en les réduisant au strict nécessaire, et laisser toute flexibilité pour décider, au moment où ils deviennent utiles, des investissements à court terme.
La stratégie est désormais moins une trajectoire qu’une juste planification des décisions structurantes du développement et de l’évolution des organisations. A ce titre, la dimension « visionnaire » de la stratégie s’étiole. Je me suis déjà exprimé sur le sujet récemment. En complément, deux qualités me semblent essentielles :
- Développer l’intimité et l’empathie les plus grandes possibles avec son environnement pour en capter tous les signaux permettant de comprendre leurs évolutions en cours et à venir.
- Savoir donner du sens à une trajectoire d’entreprise. La vision ne concerne plus un objectif à atteindre, un monde imaginé dans lequel on projette une organisation : elle doit plutôt permettre d’entrevoir une trajectoire. A chaque instant, sur cette trajectoire, l’énergéticien doit donner du sens à son action pour la collectivité, pour les individus, pour ses clients comme pour ses actionnaires. Si ses objectifs ne sont pas porteurs de sens, ils auront toutes les difficultés à être atteints.
L’art de construire la stratégie des entreprises a évolué tout comme l’art de la guerre dont il s’inspire parfois. Les forces d’influence, les interactions et les interdépendances sont plus nombreuses. Alors que l’environnement des énergéticiens n’a jamais été aussi complexe, incertain et menaçant, les démarches stratégiques de beaucoup d’énergéticiens n’évoluent pas. Le « business canevas » est souvent l’outil le plus récent ayant été adopté. Le travail des équipes n’est plus guidé et souvent la confusion et le flou en sont la conséquence.
Dans mes conférences et auprès de mes clients, je continuerai inlassablement à promouvoir des approches résolument plus modernes, porteuses de sens et systémiques : les feed-backs que je reçois à ce propos me motivent d’autant plus.
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