La transition énergétique est un bouleversement admis pour tous aujourd’hui. Ses aspects technologiques, business, économiques, règlementaires sont souvent débattus et commentés.
Mais qu’en est-il des aspects humains et, plus particulièrement, la transition énergétique n’aurait-elle pas des répercussions sur les besoins en compétences des sociétés énergétiques ?
Pour célébrer les 3 ans de publications hebdomadaires dans mon blog, comptant désormais 10000 professionnels de l’énergie abonnés, que je remercie sincèrement pour leur fidélité, je souhaiterais partager avec vous, à ce propos, des réflexions qui me tiennent particulièrement à cœur.
Tout d’abord, le secteur de l’énergie n’a pas échappé à la règle : lors des dernières décennies, les entreprises, surtout les plus grandes, n’ont pas su optimiser la transmission de compétences entre les générations ; quelquefois, les plans de départ des plus anciens ont même accentué le phénomène. Je suis toujours surpris lors de mes missions au sein d’équipes de projets de voir l’avidité des jeunes générations pour profiter d’une sorte de mentorat.
Ensuite, beaucoup de fournisseurs d’énergie ont vu, en l’ouverture des marchés, une menace majeure : en réaction, ils ont fait appel à des compétences en provenance de secteurs ayant déjà fait face à des ruptures importantes (télécoms, banques) pour bénéficier de leur expérience, pour importer des méthodes éprouvées et pour amorcer un changement culturel face à cette nouvelle « mise en concurrence ».
Il existe cependant une différence majeure entre les métiers de l’énergie et les autres secteurs d’activité : la dépendance de toutes les actions menées et solutions déployées, vis à vis des systèmes énergétiques et de leur fonctionnement et donc des technologies et des métiers de l’énergie.
Cette différence a parfois un impact modéré. Vendre du gaz ou de l’électricité au kWh à des clients résidentiels est une activité peu dépendante des systèmes énergétiques : les compétences venues d’ailleurs ont d’ailleurs apporté dans ce domaine un souffle nouveau et une dynamique inconnue jusque-là.
Mais vendre des fluides au kWh est-il un modèle d’avenir ? La transition énergétique ne permet-elle pas un positionnement plus actif des consommateurs ? ne sont-ils pas en première ligne des enjeux d’efficacité énergétique et d’évolution des usages ? Ne faut-il pas les accompagner et se positionner comme leur partenaire préféré ? Ne faut-il pas les aider à bâtir leur propre nano-grid, à faire évoluer leurs systèmes thermiques… en résumé, à les inscrire dans un dispositif énergétique global ? Autant d’activités ne pouvant être développées rentablement qu’avec une bonne maîtrise des marchés et des systèmes énergétiques d’aujourd’hui et de demain.
Si les enjeux des clients résidentiels restent « simples », même quand il s’agit du résidentiel collectif, il n’en est pas de même pour les clients B2B ou pour les collectivités territoriales.
Ces grands consommateurs ont besoin de bâtir un « cheminement énergétique » pour développer une production locale électrique ou thermique et la partager éventuellement avec des sites voisins, pour optimiser leurs contrats d’achat d’électricité, de gaz, de chaleur et de services, pour réduire leur consommation énergétique, pour diminuer leurs pertes énergétiques, pour valoriser leur flexibilité, pour optimiser physiquement et économiquement l’ensemble de leurs flux énergétiques. Avec eux, nous entrons de plein pied dans un univers nécessitant une parfaite compréhension de toutes les composantes des métiers de l’énergie.
A ces enjeux, se rajoutent, envers les villes, la nécessité d’influencer une chaîne d’acteurs complexes incluant successivement urbanistes, aménageurs, architectes, promoteurs et constructeurs ainsi que la capacité à architecturer des solutions énergétiques globales qui dépassent largement le stade de bouquets de solutions existantes.
Pour relever ces défis, beaucoup d’équipes doivent renforcer leurs compétences chez les énergéticiens et les prestataires de services énergétiques.
Pour concevoir des solutions pour les clients B2B ou pour les villes, les sociétés d’ingénierie doivent intégrer des ingénieurs multi-compétences car leurs équipes ont désormais à développer des solutions multi-fluides intégrées et supervisées, dans lesquelles la supervision et la conduite doivent être interfacées avec des systèmes de supervision plus globaux. Dans les sociétés de distribution électrique, l’électrotechnique ne doit plus régner en maître, les technologies numériques et les autres technologies énergétiques s’invitent dans le bouquet de techniques à maîtriser.
Ce qui peut se comprendre aisément dans des environnements techniques s’appliquent également aux secteurs plus commerciaux.
Les équipes de ventes et de marketing dédiées aux segments B2B, aux villes et au résidentiel collectif doivent désormais obligatoirement avoir une forte compréhension des métiers et des systèmes énergétiques ainsi que de leur fonctionnement et des technologies. La pertinence des offres et des actions commerciales s’en trouve immédiatement améliorée.
Aujourd’hui, je constate un dialogue difficile entre les différents départements d’une société énergétique : l’enveloppe culturelle commune nécessaire, fortement teintée de technique, n’existe pas. Il en est de même entre une société énergétique et des potentiels partenaires externes.
Comment attendre de vendeurs ou de marketeurs de poser les bonnes questions et d’établir une intimité avec les clients si la connaissance et la compréhension indispensable à un dialogue utile et ciblée font défaut ?
Ces difficultés sont souvent résolues au sein d’une équipe de projet, centrée sur un sujet bien particulier ; la compréhension technique nécessaire peut être développée, dans le temps. Mais en amont des projets, et chaque fois qu’une vision ou une approche plus globale est indispensable, je ne peux que déplorer l’absence des compétences utiles.
Je suis surpris de voir que le diagnostic est rarement fait correctement : par exemple, face à un manque de performance des vendeurs, la réponse est l’organisation d’une formation aux techniques de vente alors que le besoin est de les former aux bouleversements et aux différents métiers du secteur de l’énergie, à son fonctionnement, pour leur permettre d’inscrire leurs clients de manière gagnante dans les ruptures en cours.
Ultime signe de cet état de fait, peut-être le plus impactant, les stratégies business des énergéticiens sont en général très pauvres : il n’est pas possible d’élaborer la moindre démarche de qualité sans se plonger intimement dans l’univers de l’énergie. Les plus grands énergéticiens élaborent de belles stratégies globales, de constitution ou d’évolution de leur portefeuille d’activités et d’actifs mais tous pèchent dans la définition de leur stratégie plus opérationnelle de développement de chacune de leurs activités.
Pour moi, dans de nombreux cas, une réimprégnation technique des directions stratégiques, commerciales et marketing ainsi que de certains directeurs de projets transverses devrait être une priorité.
Ce manque de compétence technique et de compréhension globale est probablement le principal tendon d’Achille de la plupart des énergéticiens. Je comprends que le message soit difficile à recevoir car, qui est mieux placé qu’un énergéticien pour comprendre le monde de l’énergie ? Personne.
Je comprends que les dirigeants des sociétés énergétiques aient des difficultés à envisager une telle situation car elle donne le sentiment de mettre en cause la juste, et toutefois légitime, confiance que ces dirigeants ont dans leurs équipes.
Je comprends qu’un tel diagnostic renvoie à la capacité de gérer l’incertitude et de faire face aux ruptures profondes d’un marché. Pour cela, un leadership tel que celui que je décrivais récemment est un atout précieux.
Pourtant, l’énergéticien qui apportera une réponse au constat que je viens de partager avec vous, prendra obligatoirement une longueur d’avance sur les autres.
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