Contribuer à la PPE est d’abord une histoire de parti pris. J’en ai pris deux:
- Dépasser le cadre des 4 pages imposées. Réduire une argumentation sur un sujet aussi complexe en un espace aussi court revient à l’appauvrir et la vider de toute substance. Cela incite à en réduire la dimension systémique qui est pourtant la plus importante.
- Ne pas être exhaustif. Certaines technologies, certains acteurs, certaines thématiques ne sont pas abordées ci-dessous: ce n’est pas un oubli, c’est un choix pour concentrer mon argumentation sur quelques points clés.
Voici donc:
Pour clarifier le débat, la compréhension des enjeux et donc l’adoption des orientations, il me semble utile de distinguer deux transitions énergétiques:
- La première vise à réduire l’impact de l’énergie française sur le climat, même si le fort taux d’électricité nucléaire nous confère une performance parmi les meilleures en Europe. Cette transition affecte toutes les énergies: électricité, gaz, pétrole etc…
- La deuxième vise une réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité.
Il me semble essentiel de clarifier ces deux enjeux pour éviter les arguments du type: « cela ne sert à rien de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables car cela n’a aucun impact sur les émissions de CO2 » qui se justifient si on considère uniquement la première transition et qui n’ont pas de sens si on considère qu’on a bien deux transitions énergétiques à gérer en parallèle.
Pour ma part, les deux transitions s’imposent. L’avancée de l’une conditionne l’avancée de l’autre: elles sont indissociablement liées.
Pourquoi réduire la part du nucléaire?
Quand on évoque l’énergie nucléaire, plusieurs points plaident en faveur de la réduction de sa part dans le mix énergétique de la France:
- L’évolution de l’opinion publique: à l’heure des débats citoyens et des consultations diverses, il apparait difficile de ne pas être attentif à un mouvement croissant de défiance voire d’opposition à l’énergie nucléaire.
- Les coûts de production: toutes les études montrent une hausse de ces coûts, en partie due aux contraintes de sécurité plus importantes qui s’imposent avec l’expérience des grands accidents du nucléaire civil.
- Les coûts d’investissement nécessaires à la construction ou à la rénovation des centrales: aucune entreprise privée n’aurait poursuivi, en l’état, un programme tel que celui de l’EPR avec des coûts multipliés par 3 et des délais rallongés de 6 à 8 ans depuis l’origine du projet.
- La sécurité des populations: aussi compétents et intelligents que nous soyons, nous ne sommes pas à l’abri d’un accident qui serait catastrophique pour la santé de la population européenne et pour l ‘économie française. Le risque existe. Le jour où un accident aura eu lieu sur le sol français (ce que je n’espère nullement), ce risque sera le même. C’est notre perception du risque qui aura changé. Il est temps de percevoir ce risque et de prendre de la distance par rapport au déni dans lequel sont certains promoteurs du nucléaire.
- L’impact du nucléaire sur l’environnement, lié aux déchets qu’il va falloir stocker pendant plusieurs siècles. Comment pouvons-nous être certains aujourd’hui que les conditions de stockage garantiront l’absence d’impact environnemental de cette activité pendant une période aussi longue?
D’autres points méritent d’être pris en compte car ils sont autant de raison de reculer devant la réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique:
- Nous devons assurer à moyen comme à court terme la production d’électricité dont la France a besoin. Les énergies renouvelables pourront-elles prendre totalement le relais avant l’échéance de fin de vie d’un certain nombre de centrales?
- Les centrales nucléaires fournissent une production de bandeau, régulière, servant la consommation minimale, quasi garantie, du pays. Cette caractéristique semble aujourd’hui peu accessible aux énergies intermittentes. Plusieurs solutions sont envisageables.
- Nous avons une filière industrielle du nucléaire à défendre; quelques centrales seulement ont été vendues ces dix dernières années au regard d’un parc mondial de près de 450 unités. Sans nier son importance pour notre pays, les difficultés auxquelles ont fait face Areva, Westinghouse et Toshiba ne sont pas le signe d’une industrie en plein essor.
En prenant un peu de recul, les raisons en faveur d’une réduction de la part du nucléaire ont un caractère certain, obligatoire, inévitable. Les arguments en faveur du maintien d’une part importante peuvent trouver des solutions.
Pour l’ensemble de ces raisons, je plaide pour une réduction progressive et programmée du nucléaire, en étant conscient que cela nécessitera quelques décennies et que l’objectif d’une part de 50% de l’énergie nucléaire dans le mix français est une premiere étape.
Comment réduire la part du nucléaire?
Deux observations structurent la réponse qu’il est possible d’apporter à cette question:
La part extrêmement importante (près de 75%) de la production électrique française détenue par le nucléaire conduit à une situation délicate et très particulière, sur laquelle je reviens ci-dessous.
D’autre part, les actions d’efficacité énergétique que nous menons et allons amplifier avec succès dans un proche avenir, induisent une évolution à venir de la consommation électrique française en très faible hausse voire en baisse, ce qui signifie que notre pays n’a pas de besoins notoires de capacités de production électrique supplémentaires.
Dès lors, la sortie du nucléaire et le développement des énergies renouvelables sont parfaitement conformes à l’histoire de la poule et de l’oeuf: les énergies renouvelables se développent lentement car il n’y a pas de place pour des investissements rentables compte tenu de la part tenue par le nucléaire et le nucléaire doit assurer la pérennité de sa part de production en l’absence de relais suffisant pris par les énergies renouvelables. Cette situation fournit des arguments tout à fait valables pour justifier l’immobilisme et le statu-quo.
Le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux est de programmer l’arrêt progressif de centrales nucléaires et de faire respecter l’échéancier décidé, afin d’offrir un horizon d’opportunités réelles aux énergies renouvelables; sinon, le développement des énergies renouvelables se fera, peu ou prou, au rythme des fermetures des centrales en fin de vie.
Afin d’être crédible et adopté par tous, l’échéancier d’arrêt des centrales nucléaires doit tenir compte:
- Des impacts économiques sur EDF (attention à avoir des raisonnements globaux validés par des auditeurs neutres)
- De la réussite de l’adaptation du système électrique dans son ensemble: adaptation des mécanismes d’équilibre, évolution du réseau de distribution et de ces modes de conduite, pour permettre l’intégration d’une part plus importante de sources d’énergie intermittentes.
- De la capacité du tissu d’acteurs français à déployer les moyens de production renouvelables nécessaires.
- D’un échéancier crédible de déploiement de l’ensemble des dispositions d’accompagnement listées dans ce document.
Les acteurs concernés par cet échéancier ne sont pas différents de tous les autres: ils sont, pour la plupart, réticents au changement. Les arguments qu’ils développeront pour fixer cet échéancier viseront à retarder au maximum les changements dont en focalisant leur communication sur les quelques avancées concédées pour prouver leur bonne foi et leur volonté d’avancer. Il est donc nécessaire d’avoir un collège d’experts pour contrer cette tendance: de manière collégiale et neutre, il déterminera l’impact admissible de chaque argument sur l’échéancier.
Sans avoir fait d’évaluation précise, il me semble que nous pourrions, sur un plan technique, être plus ambitieux que le seul arrêt de Fessenheim d’ici à 2029 et atteindre une part de 50% de nucléaire autour de 2035, avant d’envisager de nouvelles étapes lors des décennies suivantes.
Pour autant, il me semble difficile voire impossible d’éviter la construction de nouvelles centrales en développant suffisamment de capacités de production à base de nouvelles énergies, suffisamment vite, avec toutes les caractéristiques requises pour que le dispositif énergétique national fonctionne.
A ce propos, il me semble dommageable pour le débat public d’avoir publié des études concluant à la faisabilité d’un scénario 100% renouvelable à horizon 2050, basées sur des hypothèses ne représentant pas la réalité et ne garantissant pas le fonctionnement global du système énergétique français.
Compte tenu de la durée très longue de cette initiative:
- Il est d’autant plus nécessaire de s’y engager dès aujourd’hui
- L’industrie du nucléaire dispose de 40 à 70 ans, peut-être même plus, pour gérer sa transformation: une stratégie défensive dans ce contexte ne se comprend pas.
- La difficulté de cette transformation tient au fait que la durée disponible (plusieurs décennies) laisse penser qu’on a le temps de l’amorcer. Je crains bien que ce délai soit entièrement nécessaire et que le mouvement doive être lancé aujourd’hui.
- Il en est de même pour l’adaptation des réseaux électriques à une part plus importante de sources d’énergies intermittentes.
- La réduction progressive de la part du nucléaire n’exclut pas que la construction de quelques centrales supplémentaires soit nécessaire car organiser une transition entre un mix avec 75% de nucléaire vers un mix avec 100% d’énergies renouvelables, dont beaucoup rêvent, en 30 ans, alors que les principaux acteurs français avancent le plus lentement possible sur le sujet, me semble illusoire.
Conserver un mix énergétique à faible taux d’émission de CO2
Conserver notre performance en terme de taux d’émission de CO2 est une option conservatrice. Nous sommes parmi les bons élèves de l’Europe, mais n’oublions pas que la Suisse et surtout la Norvège ont une bien meilleure performance.
Il serait légitime que la France tente de se rapprocher de ces leaders, surtout si nous voulons nourrir l’espoir de développer notre industrie dans le domaine de l’énergie.
Pour cela, il est essentiel:
- De développer les énergies renouvelables avec un mix varié et équilibré dans lequel toutes les énergies renouvelables contribuent: solaire thermique et photovoltaïque, éolien, biomasse, biogaz, géothermie, récupération de chaleur etc…Beaucoup sont accessibles localement: leur développement ne peut plus être planifié aussi efficacement à l’échelon national.
- De réduire la pointe de consommation afin de diminuer l’appel aux capacités de pointe, encore trop souvent d’origine fossile. Cette réduction peut se faire soit via des mécanismes incitatifs, soit en réduisant la part de l’électricité dans les applications thermiques.
- De réunir les conditions de développement de toutes les énergies renouvelables: favoriser les réseaux de chaleur qui permettent d’utiliser les énergies locales, développer une gouvernance locale de l’énergie afin d’accompagner la transition, donner de la visibilité sur l’environnement réglementaire pour sécuriser les investisseurs privés
De plus, l’enjeu de la « décarbonisation » de l’énergie française ne doit pas être raisonnée en se limitant à la production électrique. Les enjeux principaux se situent dans le domaine des applications thermiques et de la mobilité.
La « desélectrification » des applications thermiques
Les applications thermiques électriques ne sont plus, aujourd’hui, par exemple dans le cas d’immeubles de logements collectifs ou de bureaux, ni les plus économiques ni les plus efficientes.
Le développement des réseaux de chaleur suppose, pour être « rentable » une certaine « densité » de consommation d’énergie thermique par mètre linéaire de canalisation de distribution, donc une certaine densité urbaine.
Ils sont appelés à prendre une place croissante, voire prépondérante dans les nouveaux quartiers.
Chaque réseau de chaleur renforce la dimension locale des systèmes énergétiques et de leur gouvernance et donne accès à des sources d’énergie non centralisées.
Le développement obligatoire de solutions alternatives de mobilité
On peut voir dans la mutation de l’industrie automobile vers les véhicules électriques voire à hydrogène la réponse au défi qui nous est posé dans ce domaine. Je pense que cette réponse technologique est insuffisante: en parallèle, il faut faire évoluer profondément nos habitudes de mobilité:
- Certes, adopter des véhicules électriques chaque fois que possible
- Adapter progressivement l’urbanisme de nos villes pour réduire les trajets, notamment les trajets domicile-travail.
- Modifier nos modes de travail pour favoriser le télétravail
- Pousser très fortement pour le partage des véhicules
- Promouvoir l’usage du vélo sur des pistes cyclables séparées des voies de circulation etc…
Il y a très certainement des services qu’il faut analyser et faire évoluer car ils ont très probablement un impact non négligeable sur les habitudes de transport (choix d’un mode de transport davantage que distance parcourue) comme les crèches.
Autant de solutions dont la plupart seront portées par les villes et les collectivités territoriales.
L’importance de l’efficacité énergétique
L’efficacité énergétique doit être le pivot de notre politique énergétique car, quel que soit le mix énergétique, l’efficacité énergétique s’avère déterminante. Les bénéfices que nous en tirerons sont multiples et peuvent l’objet de CHOIX:
- Plus nous serons sobres, plus nous pourrons accélérer ou accentuer la réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique.
- Plus nous serons sobres, plus nous pourrons limiter les investissements à consentir dans l’avenir pour la construction ou la rénovation de centrales de production (quel que soit le type d’énergie concernée)
- Plus nous serons sobres, plus nous pourrons limiter l’impact environnemental des énergies renouvelables, car, aucune n’est vraiment neutre sur le plan écologique.
Toutes les initiatives en faveur d’une meilleure efficacité énergétique doivent donc être favorisées, notamment par une règlementation simple, adaptée, ouverte, permettant une action rapide:
- Un plan de rénovation énergétique des bâtiments sur plusieurs décennies.
- La promotion de labels environnementaux pour les bâtiments en avance sur la règlementation. La RT 2012 n’est pas suffisante et le concept de BEPOS risque d’être contreproductif.
- Le développement de coopératives en faveur de l’efficacité énergétique
- Le durcissement progressif et programmé des normes de consommation des principaux équipements (neufs et en place), principalement dans l’industrie.
- La simplification des modèles de contracting pour augmenter le niveau d’investissements privés dans l’efficacité énergétique.
- La simplification du transfert après travaux de la dette de contracting à des fonds d’investissements.
- L’organisation par les villes et communes de réseaux de bénévoles pour éduquer, accompagner, former, stimuler les habitants en matière d’économies d’énergie
- etc….
Comment atteindre nos objectifs?
L’objet de la PPE me semble être surtout désormais de réunir les conditions nécessaires à:
- L’atteinte de nos objectifs
- L’accélération des mutations nécessaires
Partons pour cela d’un état des lieux :
Les actions propres à une filière sont en général plutôt bien menées: dans notre pays, les filières sont structurées et actives.
Les actions transverses sont en retard et ont des difficultés à avancer: le poids des filières est important tout comme leur tendance à se défendre. En outre, en France, nous avons peu la culture du dialogue mais davantage celle de l’affrontement. Notre culture et nos structures ne favorisent donc pas la transversalité désormais obligatoire à l’atteinte de nos objectifs.
Le marché français est dominé par des grands acteurs nationaux et, comme dans tous les pays ayant la même caractéristique, leur influence est déterminante pour accélérer les changements si telle est leur intérêt et leur stratégie, pour les freiner dans le cas inverse.
Atteindre nos objectifs demande, de mon point de vue, un certain nombre de dispositions d’accompagnement indispensables.
Faire évoluer la gouvernance de l’énergie pour développer une dimension locale forte
Eu égard aux impacts de l’énergie sur la vie du pays,
- Son coût, qui a des répercussions de plus en plus sensibles sur les foyers modestes
- Son impact environnemental, qui, au delà du possible enjeu de santé publique qu’il représente, est désormais un objectif de survie planétaire et international.
- Sa sécurité d’approvisionnement qui conditionne notre relation à certains pays pourvoyeurs de sources d’énergie primaire,
il est essentiel que « l’état » (dans ses dimensions nationales et locales) dirige davantage la politique énergétique. En fixant un cadre et des orientations claires, elle permettra à l’ensemble des entreprises énergétiques de bâtir leur propre stratégie au service de leur développement et de leur pérennité.
Il est à la fois vital de laisser à ces entreprises le temps de se transformer mais il est dramatique de ralentir notre pays pour attendre ceux qui ne se sont pas transformés.
Je suis en faveur de la mise en place d’une gouvernance nationale globale de la transition énergétique:
- Pour suivre l’avancement de notre transition énergétique et mesurer les résultats
- Pour proposer des ajustements règlementaires
- Pour coordonner les acteurs
- Pour piloter la transformation globale et faire en sorte qu’on perde le moins de temps possible. Car, moins une transformation perd de temps, moins elle est brutale et moins elle fait de dégâts.
Je suis aussi en faveur de la mise en place d’une gouvernance locale globale de l’énergie dans toutes les métropoles et tous les départements:
- Réunissant les collectivités territoriales, les gestionnaires de réseau de gaz, électricité, chaleur et eau, les diverses associations, les organismes de financement locaux, en se limitant aux corporations ayant un pouvoir d’action.
- Accompagnée d’un collège d’experts neutres pour éviter les prises de position, pas toujours détectables par les non-spécialistes, visant à soutenir une stratégie trop défensive.
- Pour décider des optimisations du système énergétique local et de la cohérence des actions
- Pour proposer les ajustements nécessaires
- Pour piloter la transformation locale
- Pour engager les acteurs sur le plan local
- Pour développer le recours aux énergies locales
- Pour rechercher un optimum au niveau des systèmes (multi-fluides)
- Pour stimuler le déploiement de la chaleur renouvelable
- Pour la mobilité locale
Dans tous les cas, les modes de décision ne doivent pas permettre à un type d’acteur d’imposer son point de vue, afin que l’économie, les acteurs de l’énergie, les consommateurs ne soient pas implicitement les otages d’un acteur particulier.
Il est indispensable que les représentants des deux niveaux de gouvernance se rencontrent et se coordonnent à fréquence annuelle.
Bâtir un plan de développement de l’industrie française de l’énergie
Car la transition énergétique n’est pas seulement l’évolution du mix énergétique, c’est la transformation de l’ensemble de l’écosystème énergétique, acteurs compris.
Les taux d’adoption de chaque énergie renouvelable en France sont faibles, en comparaison avec les pays leaders en Europe. Un tel niveau de marché n’est pas suffisant pour faire émerger des champions pour chacune d’elles.
Je suis en faveur d’un plan national en faveur de l’industrie de l’énergie. Nous sommes déjà distancés dans les domaines solaires et éoliens mais nous avons encore des places à prendre, dans de nombreux domaines, parmi lesquels, sans que la liste suivante soit exhaustive:
- La récupération de chaleur
- L’hydrogène
- L’efficacité énergétique des bâtiments (où nous avons déjà un tissu industriels performant)
- La mobilité verte
- Les systèmes de pilotage énergétique
- L’ingénierie et l’intégration de systèmes multi-fluides urbains
- Les réseaux de chaleur
- L’installation de systèmes énergétiques (compris solaires et éoliens)
- La gestion des données et des transactions
- La gazéification des déchets
- Le stockage thermique
- L’ingénierie de systèmes énergétiques multi-fluides, notamment urbains
- Et surtout le développement d’une des futures plateformes mondiales de gestion de l’énergie
Nous avons là de quoi créer une vraie dynamique apte à compenser l’inéluctable érosion de la filière nucléaire.
Nous devons pour cela nous tourner vers l’avenir et nous inspirer du sport: une équipe nationale gagnante, en handball ou en football, regroupe des joueurs expérimentés et des jeunes joueurs prometteurs. Il ne vendrait à l’idée de personne de sélectionner aujourd’hui Michel Platini ou Jackson Richardson en se persuadant que, bien entrainés, ils nous permettraient encore de gagner. Le sélectionneur qui se risquerait à un tel pari serait immédiatement évincé. Pourquoi tombons-nous dans ce travers quand il s’agit d’énergie? Pourquoi nous persuadons-nous qu’il faut mettre sous perfusion des technologies qui ne cessent de régresser? Pourquoi les voyons-nous encore comme des technologies d’avenir? En sport, nous n’aurions aucune chance de victoire. Sur les marchés, notre industrie est en route pour un sort identique …. à moins que nous changions nos sélectionneurs et nos modes de sélection.
Les très grands industriels ont les mêmes enjeux et les mêmes difficultés de transformation que ceux que j’évoque dans ce papier. De plus, le barycentre de leur développement n’est plus en France, ni même en Europe. Ils ne sont donc pas les piliers incontournables d’un tel plan. Il ne faut pas faire reposer la réussite d’un tel plan exclusivement sur eux. Par contre, les start-ups et les ETIs françaises sont un vivier qu’il faut développer et faire fructifier.
Les emplois générés par ce plan ne doivent pas être un objectif théorique, objet de discussions sans résultat; ils seront le résultat certain d’une stratégie industrielle bien menée.
Promouvoir la finance verte
Le financement de la transition énergétique est un enjeu majeur. L’envisager à travers le seul prisme des subventions publics en fait un obstacle à une avancée rapide.
Plusieurs leviers méritent d’être développés:
La finance verte peut être développée sous deux aspects:
- Celle qui finance les projets de transition ou d’efficacité énergétique: elle a besoin d’un environnement règlementaire sécurisant, réduisant les risques pris sur chaque investissement.
- Celle qui stimule les projets de transition ou d’efficacité énergétique en conditionnant les financements accordés ou le niveau de taux d’intérêts à l’atteinte de performances énergétiques ou au lancement d’actions d’efficacité énergétique.
Certains modes de financement fonctionnent comme des pompes à chaleur, qui nous émerveillent pour leurs capacités techniques et économiques: les contrats de performances énergétiques, par exemple, permettent un effet de levier du même ordre en stimulant, en le sécurisant, l’investissement privé.
Pour cela, les modes de fonctionnement public-privé doivent évoluer pour faire une place à l’innovation, aux évolutions de fonctionnement donnant accès à des services aux habitants et à l’économie plus développés. Il ne s’agit plus d’assainir une relation de client-fournisseur en stimulant le choix du fournisseur privé le moins cher parmi un panel offrant peu ou prou le même niveau de prestation. Il s’agit désormais de permettre une relation plus équilibrée entre des partenaires publics et privés qui donne accès à un optimum global économique et de performance.
Engager les acteurs
Cet enjeu est complexe, à tel point que beaucoup d’initiatives, lancées dans ce sens dans le passé, ont réduit leurs ambitions. Nous ne pouvons plus reculer et sommes contraints à être créatifs et inventifs. Si l’objectif est identique pour toutes les cibles, les moyens de l’atteindre diffèrent: engager des particuliers ou des professionnels ne demande pas d’actionner les mêmes leviers.
Engager les particuliers
Pour ces consommateurs, les économies d’énergies dépendent d’une évolution des logiques d’achat (l’évolution des normes et de la règlementation peut avoir une forte incidence directe) et d’une évolution des comportements, plus difficile à maîtriser. Il est indispensable de s’attaquer tôt à cet enjeu, non pas pour sa contribution aux économies à réaliser dans les prochaines années mais pour éviter, dans un futur proche, que des résultats acquis soient annihilés par des comportements non vertueux.
Plusieurs observations permettent d’esquisser des axes d’action pour influencer les comportements:
- Accompagner et favoriser un certain niveau de désintermédiation en permettant à des micro-producteurs de partager leur production avec leur voisinage permet une meilleure compréhension des enjeux et une appropriation plus importante de la transition énergétique et de ses conséquences (même si ce mouvement ne va pas dans le sens d’une réelle optimisation du système énergétique).
- Créer des dynamiques au sein des immeubles, des quartiers ou des villages sous la houlette de bénévoles, animateurs énergétique, permet une diffusion plus rapide de bonnes pratiques.
Tous les citoyens n’ont pas les mêmes motivations pour s’engager: certains sont sensibles au critère économique, d’autres agissent en conformité avec des valeurs fortes comme le respect de l’environnement, la majorité mettent leur confort en priorité, notamment celui procuré par un désintérêt total vis à vis de l’énergie. Les énergéticiens et les collectivités territoriales sont probablement les acteurs les mieux placés pour activer chacun de ces leviers.
Faire appel à des logiques de conformité sociale ou de valorisation peut accélérer l’engagement.
Les aides financières peuvent stimuler une évolution des comportements d’achat mais une bonne cohérence d’action entre les acteurs de l’énergie et les collectivités locales sont la clé du succès de l’évolution des comportements.
Parmi les mesures d’accompagnement nécessaires, il me semble inévitable de lancer un plan d’éducation à la transition énergétique et écologique dans les écoles avec cours, conférences, visites et projets concrets. Certaines évolutions prendront une génération ou passeront par l’influence des enfants sur leurs parents.
Engagement des entreprises
Les entreprises répondent à des logiques d’affaire: elles attendent des retombées économiques de chaque décision et de chaque investissement (pour peu que les gains ne soient pas compensés par le coût des efforts à consentir pour les obtenir), un gain de notoriété via des certifications, labels et promotions diverses, ou des accès privilégiés à certains marchés.
Les marchés, notamment publics, pourraient être attribués en prenant en compte un critère d’engagement énergétique et écologique de chaque candidat, pesant pour 50% de la note finale et émanant d’un barème reconnu par tous.
Créer les conditions techniques de l’atteinte de nos objectifs
Développer les énergies renouvelables, principalement intermittentes, modifier le comportement des consommateurs, ne peut se faire sans conséquence sur les systèmes énergétiques et donc, sans les adapter à ces nouvelles conditions d’exploitation.
Aujourd’hui, trop souvent, les systèmes en place ont tendance à imposer leur logique plutôt que de s’adapter: par exemple, un gestionnaire de réseau de distribution a tendance à peser pour que son financement via le TURPE ou son équivalent ne soit pas réformé et continue de le rémunérer, au détriment du développement de l’autoconsommation, principalement collective.
Trois plans me semblent nécessaires au risque de rendre difficiles voire impossibles les évolutions envisagées.
- Un plan stockage et flexibilité, destiné à assurer le fonctionnement continu des systèmes énergétiques en compensant les fluctuations de plus en plus fortes et nombreuses de la production et de la consommation d’énergie.
- Un plan réseaux de chaleur plus volontariste pour questionner l’usage de l’électricité dans les applications thermiques.
- Un plan réseaux électriques pour les dimensionner face aux nouveaux besoins et, si possible, en évitant ou différant chaque fois que possible, les renforcements de réseaux, toujours coûteux.
Organiser la dynamique collective et favoriser son développement
En complément des niveaux national et local de gouvernance décrits plus haut, plusieurs dispositions peuvent contribuer au développement de la dynamique collective souhaitée:
- Sur le plan règlementaire, permettre, sans restriction, à tous les acteurs du monde régulé, d’exercer plusieurs activités de même nature: gestionnaire de réseau de distribution d’électricité, d’eau, de gaz ou de chaleur. Ce mouvement permettra, à terme, dans un contexte de mutations importantes, que les gestionnaires de réseau puissent bénéficier des évolutions des différents fluides sans subir la décroissance ou la transformation liée à un seul d’entre eux.
- Ouvrir le marché des concessions de gestion de microgrids électriques d’entreprises ou de quartiers, un gestionnaire historique tel qu’Enedis ou GrDF pouvant, bien évidemment, y avoir accès.
- Permettre à une même entité de gérer sur un périmètre local des réseaux de distribution de différents fluides et encourager ce mouvement.
- Mettre à disposition des instances de décision un conseil d’experts, à la compétence transverse, neutres afin d’éclairer les décideurs et, plus particulièrement, pour les aider à identifier et gérer les stratégies défensives d’acteurs particuliers ou de filières particulières.
- Aligner les différents services de l’état: que l’ADEME fasse la promotion des énergies renouvelables intermittentes en les finançant pendant que le régulateur fait peser, sine die, sur le prix de l’énergie qu’elles produisent, une « taxe » pleine et entière d’utilisation du réseau électrique qu’elles sollicitent peu, n’est pas cohérent et décrédibilise le discours, les orientations et les décisions de l’Etat et des collectivités territoriales.
- Sentir et accompagner les tendances sociétales: par exemple, l’ubérisation des systèmes électriques sous l’impulsion de consommateurs voulant produire eux-mêmes. Vouloir freiner ces tendances pour en limiter l’impact sur les structures traditionnelles et néanmoins indispensables en fait qu’alimenter les raisons pour lesquels les consommateurs cherchent plus d’indépendance et renforce le scénario.
- Donner moins d’importance aux corps constitués: les consultations et travaux d’orientation de la législation et de la règlementation, donnent aujourd’hui encore une place prépondérante aux corps constitués représentant et défendant les intérêts de groupes d’acteurs. La logique de confrontation est, chaque fois, renforcée. Au fil des années, les corps ont eu tendance à adopter des positions de plus en plus radicales pour se donner le maximum de chances de sortir « vainqueur » et, chaque fois, la communauté en sort « perdante ». Ces positions offrent un terreau peu fertile pour la concertation et les compromis.
Conclusion
En conclusion, la transition énergétique et la PPE donnent à la France l’occasion de créer une vraie dynamique économique autour de l’énergie.
En tant que simple citoyen, j’attends que nous arrivions à dépasser nos certitudes, à faire confiance aux innovateurs de ce pays, à notre capacité de recherche et de développement. J’attends que nous ne nous tournions plus seulement vers les plus grands acteurs pour bâtir notre avenir énergétique mais que nous sachions fédérer, de manière harmonieuse l’ensemble des initiatives. J’attends enfin la mise en place d’une gouvernance nouvelle à deux niveaux, nationale et locale, permettant une action à la mesure des enjeux et nous permettant de toujours plus accélérer nos actions en réponse au défi climatique. J’attends enfin l’instauration d’un mode de fonctionnement plus consensuel pour éviter que les excès et les certitudes à propos du nucléaire ne soient remplacées dans l’avenir par des excès et des certitudes similaires à propos de certaines énergies renouvelables.
Pour faire évoluer le dispositif actuel basé sur une forte intervention de l’état dans de nombreux domaines, deux « stratégies » se présentent:
- Libéraliser et laisser les acteurs s’autodéterminer: cette stratégie nous confronterait rapidement à la réalité, aux tendances du moment, aux aspirations des consommateurs. L’exposition serait brutale et risquerait de mettre certaines entreprises énergétiques en difficulté sans leur laisser le temps nécessaire pour s’adapter. Je n’ai pas préconisé cette stratégie.
- Adapter le dispositif actuel pour en ajuster le fonctionnement, notamment en clarifiant les rôles, en introduisant une « régulation » des échanges avec les services de l’état (c’est à dire l’intervention de personnes neutres, agnostiques, destinée à détecter et contrer les stratégies défensives) et en décentralisant la gouvernance de la transition énergétique. Ce que je préconise est conforme à cette stratégie. A ce titre, la transition énergétique est un test important de notre capacité, non pas à faire des réformes, mais à nous réformer; mais, c’est également une grande opportunité pour la France de prendre à l’avenir une place de choix sur un marché mondial.
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Je reconnais là le manifeste du futur ministre de l’énergie, et je vote pour .
Un commentaire: L’intérêt de l’éolien associé à un grand réseau européen, peu présent dans une politique nationale, mérite d’être défendu .